jeudi 27 octobre 2011
Amnesia @ Piccolo Teatro
Au mois d'avril 2010, lorsque le public de Tunis découvre la nouvelle création de Jalila Baccar et de Fadhel Jaïbi, Yahia Yaïch - Amnesia,
il lui fait une longue ovation. Il n'en revient pas qu'un tel spectacle
ait pu franchir les barrières de la censure tunisienne qui, deux ans
auparavant, avait interdit les représentations de Corps otages,
la précédente production de la compagnie. Cette surprise tient au sujet
même de la pièce : l'histoire d'un dirigeant politique, Yahia Yaïch,
qui apprend par la télévision sa destitution, et donc la perte de ses
pouvoirs absolus. Une histoire qui, dans ce pays alors écrasé par la
dictature du président Ben Ali, s'attaque directement à un tabou. Loin
de la dénonciation facile et frontale, Jalila Baccar et Fadhel Jaïbi
orchestrent une véritable tragédie autour d'un despote brutalement
limogé, d'une presse longtemps muselée qui peine à sortir de sa langue
de bois et d'un peuple à la conscience anesthésiée. Tirant parti d'une
scénographie dépouillée, jouant sur les contrastes du noir et du blanc,
la mise en scène met en valeur le corps des acteurs et crée un mouvement
permanent autour du dirigeant déchu, enfermé dans la spirale infernale
de l'incompréhension et du déni, broyé par des pratiques qu'il a
lui-même développées. Pas de caricature dans cette analyse en profondeur
d'un système terrifiant, dans cette exposition, non dénuée d'humour,
des mécanismes du pouvoir, dans cette tentative d'appréhension des
phénomènes d'autocensure, plus terrible encore que la censure
officielle. Pas de parodie, juste une galerie éloquente de personnages
profondément humains, dans leur courage ou dans leur lâcheté, qui
participent, volontairement ou non, à une sorte de cauchemar individuel
et collectif. Avec Yahia Yaïch - Amnesia, le théâtre a anticipé
l'Histoire en libérant les mots et les esprits dans un pays où « les
langues étaient coupées », comme le disent si bien Jalila Baccar et
Fadhel Jaïbi. Il a su avec exigence révéler, divertir et utiliser ses
armes ancestrales pour un combat d'aujourd'hui. JFP
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